The Forgotten City
Buffalo, New York
© Derek Flack
Buffalo, état de New York, jadis pôle industriel majeur des Etats-Unis aujourd'hui laissé à l'abandon, ville fantôme victime de la désertion industrielle, dont le développement et le déclin rappellent ceux d’une multitude d'autres villes aux Etats-Unis et à travers le monde. Le titre de la pièce fait référence à l'oubli, à l'abandon qui caractérise l'histoire de cette ville et de toutes celles qui, comme elle, ont cessé de vivre et de fonctionner suite à l’arrêt progressif de leur activité industrielle et à l'exode de leur population. Ces ruines et décombres, témoins du déclin d'une ère industrielle jusqu'alors florissante, portent pourtant encore les traces de l'énergie qui les animait.
C'est à l'occasion de séjours dans la ville de Buffalo que j'ai pu assister au spectacle saisissant de ces usines et habitations abandonnées. Ces friches ont exercé sur moi une telle fascination que j'ai commencé à m'intéresser de plus près à la question des villes et des lieux industriels en déshérence. Plus je me projetais dans ces espaces immenses désertés, plus il devenait nécessaire d’exprimer ces images avec des sons.
Cette nécessité musicale m'invitait à réfléchir sur un nouveau type de dramaturgie, loin de l'idée d'une dramaturgie latente constituée de "personnages" ou "objets" musicaux telle que je l'avais développée à plusieurs reprises dans mes précédents projets d'écriture. Ici, la forme se construit de manière empirique, au gré de scènes tirées d'expériences sensorielles et d'images – photos ou vidéos – de ces lieux désaffectés que j'ai longuement intériorisées.
L'évidence désormais acquise de ce projet musical et esthétique ne s'est révélée qu'au prix d'un long cheminement dont le point de départ impliquait un nouveau type de recherche dans mon travail de composition : une nouvelle approche du son et donc du timbre, un travail plus aigu sur la pulsation et le rythme.
Sans pour autant renoncer à la ligne mélodique qui caractérise ma démarche depuis le début de mes travaux en composition – en témoignent les différents solos de flûte basse, basson et trompette dans The Forgotten City –, il s'agissait de me focaliser davantage sur des gestes instrumentaux plus directifs et acérés, sur des matières sonores toujours denses dont la couleur varie en fonction du degré de mélange entre des réseaux harmoniques préalablement constitués et un travail rigoureux sur les multiphoniques.
Cette pièce m’a également donné l’opportunité d'effectuer de nouvelles expériences sur le timbre en partant de sons complexes liés au monde industriel. Cette démarche, que l'on pourrait apparenter à ce que Gérard Grisey nommait "synthèse instrumentale", à savoir la capacité de recomposer un son complexe en le faisant jouer par un ensemble instrumental, permet de concevoir d’autres modèles d’orchestration du timbre à partir d'un son donné appelé « cible » – ici, des sons liés au monde industriel. Grâce à un nouveau programme développé à l'Ircam nommé « Orchids », il a été possible de chercher et d’élaborer diverses solutions d’orchestration que j’ai ensuite utilisées comme point de départ pour la création de mes propres matières sonores.
Enfin, l’évocation de ces lieux industriels désertés ne pouvait se faire sans chercher à incarner musicalement l’intensité de l’activité sonore qui les animait. En plus d’une approche nouvelle de la pulsation et du rythme qui s’est imposée comme une évidence, j’ai opté pour l’emploi d’une batterie qui, combinée aux autres percussions présentes dans l’ensemble, donne une impulsion particulière et dynamique à l’écriture de cette partition. En jouant avec la polyrythmie et les nombreux décalages d’accents – occasion pour moi de renouer avec ma pratique instrumentale passée : la batterie –, j’ai cherché à évoquer les mécaniques incessantes des machines industrielles dont les pulsations se superposent au point de créer des textures rythmiques complexes.
The Forgotten City est dédié à ma fille Emma.
Buffalo, New York: once a major industrial centre of the United States, today largely abandoned, a phantom city, casualty of industrial desertion, whose development and decline recall those of a multitude of other cities in the USA and around the world. The title of this piece refers to the fading from memory and the abandonment that characterise the history of this city and of all cities that, like Buffalo, have ceased to live and to function, following the progressive shutting down of their industrial activity, and the exodus of their population. This rubble, this wreckage, witnesses to the decline of an industrial era that had been flourishing up until then, still carry the traces of the energy that brought them to life.
During my stays in the city of Buffalo, I was able to witness the striking spectacle of these abandoned factories and habitations. These industrial zones provoked such fascination in me that I started to take a closer look at the question of cities and abandoned industrial arias. The more I was drawn into these immense deserted spaces, the more it became necessary to express these images in sounds.
This musical necessity prompted me to reflect upon a new type of dramaturgy, far from the idea of a latent dramaturgy made up of ‘characters’ or musical ‘objects’, which I had developed on several occasions in my previous works. Here, the form arose empirically, following scenes drawn upon sensorial experiences and images — photos or videos — of these disaffected areas that I interiorised over a lengthy period.
The clarity of this musical and aesthetic project revealed itself only after a long process, whose point of departure implied a new type of research in my compositional work: a new approach to sound, and therefore to timbre, and a greater focus on pulsation and rhythm.
Without renouncing the melodic line, which has characterized my creative process since the beginning of my compositional work — as can be seen in the various solos for bass flute, bassoon and trumpet in The Forgotten City — my idea was to refocus my attention on instrumental gestures that are sharp and direct, on ever-denser sonic material, whose colour changes in proportion to the degree of mixture between harmonic networks worked out in advance, and rigorous work on multiphonics.
This piece was also an opportunity to undertake new timbral experiments, starting with the complex sounds found in the industrial world. This way of working, close to what Gérard Grisey referred to as “instrumental synthesis”, in other words the ability to reconstitute a complex sound through having it played by an instrumental ensemble, allowed me to conceive other models of timbre orchestration from a given sound, called a ‘target’ — in this case, sounds taken from the world of industry. Thanks to ‘Orchids’, a new program developed by IRCAM, it was possible to seek out and to elaborate various possible orchestrations which I then used as a point of departure for the creation of my own sonic materials.
Finally, the evocation of these deserted industrial complexes could only be done by musically embodying the intensity of the sonic activity that animated them. In addition to the obvious use of a new approach to pulsation and rhythm, I opted to use a drum kit which, combined with the other percussion instruments present in the ensemble, gave a particular dynamism and impulsion to the piece. Playing with polyrhythm and the numerous displaced accents — a chance for me to reconnect with my former instrument, the drum kit — I sought to evoke the ceaseless mechanisms of industrial machines, whose pulsations are superimposed, thereby creating complex rhythmic textures.
The Forgotten City is dedicated to my daughter Emma.